Etude dramaturgique et mises en espace réalisées en 2007 pour la « Journée de la Performance » (Paris, New York Université en France, 19 oct. 2007)
Entre jeu, prédication et dissidence, est né, au XVIe siècle, le théâtre de la première autrice de théâtre connue à ce jour en France, Marguerite de Navarre. À une époque charnière de l’histoire de l’art dramatique, cette reine remarquable, soeur de François Ier, a accompagné l’évolution de l’esthétique théâtrale de son temps, en soutenant son inscription durable dans les divertissements de cour. À la fois en tant qu’autrice, actrice, patronne et animatrice culturelle, elle s’est servie de cet espace de sociabilité propice à la discussion et au débat pour mettre en scène ses engagements politiques, intellectuels et religieux.
Pour démontrer l’enjeu performatif de son théâtre (longtemps récusé par les historiens du théâtre), j’ai accompagné mon étude historique et littéraire de ses pièces d’une première réflexion sur les conditions de leur mise en scène, à l’aide de lectures réalisées par des comédiens professionnels. Il s’agissait de montrer, à travers la représentation :
– comment l’organisation spatiale, l’enchaînement des dialogues, l’intégration du chant et du costume, ou encore les apartés vers le public renvoient ces textes à un espace de jeu réel, faisant intervenir le spectaculaire.
– comment le lien festif ainsi établi avec le public était propice à l’échange et à l’interactivité.
– comment surtout le théâtre de Marguerite ne prend sens que dans cet acte de performance : par le jeu des acteurs, l’agencement dramaturgique, le mélange des genres, l’intégration du chant, de la danse et du visuel, le spectateur devient disponible à l’enseignement que l’autrice souhaite lui transmettre.
Le théâtre offre ici le moyen de dépasser la dimension trop intellectuelle et solitaire d’un échange purement littéraire, pour mettre en mouvement les émotions puis l’âme du spectateur. Il permet de faire communier l’ensemble des participants autour d’une expérience de l’ « incarnation ». Marguerite de Navarre ne se contente pas de diffuser des enseignements moraux et de transmettre des idées, politiquement incorrectes et dissidentes du point de vue religieux : elle se sert véritablement du théâtre comme outil performatif. C’est l’effet cathartique du théâtre qui l’intéresse : grâce au vaste éventail d’émotions qu’il suscite, il permet de toucher le public. Son théâtre repose sur une constante interaction entre l’acteur, le spectateur, l’auteur et Dieu. Alors, progressivement, au cours de la performance, la parole dramatique s’efface, et surgit le Verbe divin, devant un auditoire conquis et prêt à le recevoir.
Deux farces de Marguerite de Navarre, lues et mises en espace, accompagnées de leur étude dramaturgique
L’Inquisiteur (vers 1535)
Avec : L’Inquisiteur : Vincent Viotti ; Le Valet : Laurent Lederer ; Janot : François Briault ; Pérot : Philippe Mambon ; Jacot : Simon Caillaux ; Thierrot : Andrea Brusque ; Clérot : Cécilia Filippi ; Thiénot : Nelly Morgenstern ; Le Petit enfant : Clémence Boué.
Alors que l’inquisiteur, docteur de la Sorbonne et représentant du savoir, se perd dans les formules de rhétorique et se montre adepte des conversions forcées, les enfants chantent des psaumes et révèlent leur profonde connivence avec les Évangiles : au langage de la séduction et de la manipulation du théologien, ils opposent celui de l’innocence et de la foi sincère.
Le Malade (vers 1536)
Avec : Le Malade : Philippe Mambon ; Le Médecin : Simon Caillaux ; La Femme : Clémence Boué ; La Servante : Cécilia Filippi.
À travers le personnage d’un médecin au discours opaque, Diafoirus avant la lettre, Marguerite renvoie dos à dos les savoirs officiels, ceux de la médecine comme ceux de l’Église, qui s’entendent d’ailleurs pour prôner les mêmes remèdes inutiles.
En savoir plus sur ces deux pièces
Journée de la Performance à New York Université en France
Vendredi 19 octobre 2007
Cette journée d’études, dirigée par Henriette Goldwyn et Timmie (Evelyn Birge) Vitz du Département de Français de l’Université de New York, a été consacrée à la « performance » en France du Moyen Âge à la fin de l’Ancien Régime. Un sens très large a été attribué au terme « performance » (événement communicatif), permettant ainsi d’élargir les champs d’investigation traditionnels. À la représentation théâtrale, au chant lyrique et à la musique instrumentale sont venus s’ajouter la récitation d’œuvres narratives, de mémoire ; la prédication ; le spectacle de lieux architecturaux ; les multiples pratiques de lecture à haute voix ; la représentation de la nourriture à la cour ; la disposition des jardins ; les jeux de Carnaval ; et autres. La définition de « performance » a ainsi envisagé toutes les pratiques spectaculaires établies selon un critère de fonction et selon la base du rapport émetteur-récepteur.
Lieu : New York University in Paris, 56 rue de Passy, 75016, Paris