En 1939, le journal Paris-Spectacles mettait en Une l’article du journaliste et auteur dramatique René Aubert, « Les treize adorables, où l’on voit les femmes-auteurs croissant en nombre et en audace sinon en génie prendre possession des théâtres de Paris ». Il revenait sur la lente et dangereuse invasion des scènes parisiennes par une cohorte de femmes-auteurs…
« Depuis deux saisons on assiste à un lent mais sûr envahissement des théâtres de Paris par un nombre de plus en plus imposant de femmes-auteurs.
Nous en compterions aisément une douzaine de ces adorables qui, tour à tour ou simultanément, se sont récemment lancées à l’assaut des planches avec l’espoir inavoué de ravir quelques-uns des lauriers tenus en mains par Sophocle, Shakespeare, ou Racine. Inutile de dire que ni l’auteur d’Antigone, ni celui de La Tempête, ni le père de Phèdre n’ont eu à lâcher le moindre brin de leur moisson de gloire ; les femmes qui réussissent magnifiquement deux choses en ville, l’amour et les scènes de ménage, ratent invariablement l’une et l’autre sur le plateau. Et pourquoi donc ? En vertu d’une loi obscure mais voulue par la nature, laquelle délimite exactement les possibilités et les impossibilités de chaque sexe. En art, pas plus qu’en politique, tout n’est pas possible.
Car enfin, c’est en vain que nous chercherions un grand musicien en jupon, nous ne le trouverions pas. Pas davantage nous ne trouverions une femme chirurgien, une femme mathématicien. Mozart, Larrey ou Descartes sont des hommes. Si enfin, quelques femmes ont eu du génie dans le roman, la poésie, la peinture, aucune, jusqu’à ce jour tout au moins, n’en montra en art dramatique. Il serait, en effet, aussi facile que fastidieux de rappeler les insuccès notoires de tant de femmes de lettres en mal de dramaturgie. Georges Sand ? Si les romans champêtres de l’amant tumultueux d’Alfred de Musset se lisent encore avec grand plaisir, qui se souvient par exemple du Marquis de Villemer, mis en actes ?
Mais, fait curieux, savez-vous à qui l’Europe doit son premier monument dramatique ? À une femme. Ou plus exactement à une religieuse saxonne, une certaine dame Hrotswitha qui, du fond de son couvent, en plein Xe siècle, se plut à aligner les premiers dialogues couchés sur parchemins que nous connaissons actuellement. On cite de cette extraordinaire abbesse un Abraham dont le langage prouve que de tous temps nos compagnes ont eu un goût vif pour les situations osées, les mots crus, les renversement inattendus. Néanmoins, entre Hroswitha et la dernière en date de nos femmes dramaturges, on distinguerait mal un grand nom. Les femmes au théâtre n’ont encore donné ni leur Calderon, ni leur Molière, ni leur Marivaux. On peut en conclure qu’au cours des siècles, chaque fois qu’elles ont abordé l’art dramatique, les femmes ont perdu leur temps ou le nôtre.
Ce préambule plutôt sévère nous place en situation pour expliquer les facilités que nos contemporaines rencontrent en ce moment pour se faire jouer. Car, c’est un fait : si tant d’auteurs mâles recherchent en vain une porte ouvrable dans le mur directorial, ces ports s’ouvrent comme par enchantement lorsque le toc ! toc ! est de sonorité féminine.
Si bien que certains auteurs très parisiens, c’est-à-dire très méchants et très jaloux, affirment que ces dames ont pour la défense et l’illustration de leurs ouvrages des arguments qu’un auteur sans moyens et de mœurs normales ne peut guère utiliser.
A vrai dire, il serait malaisé et peu galant de nier la beauté de plus d’une de ces candidates à l’immortalité. Il paraît également extravagant de nier ce qu’en langage fiscal on appelle si joliment leurs signes extérieurs.
De là à établir un rapprochement détestable, il n’y a pas loin. Nous nous en garderons bien car, après tout, les œuvres de ces agréables personnes ne sont pas plus mauvaises que tant d’œuvres nées du sexe d’en face. Certaines de ces œuvres témoignent même des qualités appréciables… Pour réussir, disons que les femmes ont une manière que nous n’avons pas.
Car après tout, faire une pièce, ce n’est rien… Mais glisser la pièce, voilà le difficile et l’essentiel. »
Ce week-end, ce sont « onze adorables » qui vont prendre possession du Théâtre des Mathurins, à l’occasion du festival Paris des femmes… Nous vous invitons à courir en masse découvrir les œuvres de ces autrices « en jupons », qui nous prouveront, qu’en art, comme en politique, en 2013, tout est possible* !
A cette occasion, nous évoquerons lors d’une conférence les Barbier, Villedieu, Graffigny, Deshoulières, et tant d’autres, qui, de la reine Marguerite de Navarre à Olympes de Gouges, loin de déshonorer les scènes de la Comédie-Française et de la Comédie-Italienne, ont prouvé qu’en abordant l’art dramatique, elles n’ont perdu ni leur temps ni le nôtre… Mais glisser ces pièces à la postérité, voilà bien le difficile et l’essentiel !
Découvrir le programme du Paris des femmes 2013, du 11 au 13 janviers 2013, au Théâtre des Mathurins
Assister à la conférence « À la découverte des pionnières de la scène théâtrale : les Autrices de théâtre de l’Ancien Régime », dimanche 13 janvier, de 15h30 à 17h (entrée libre)
Lire le Théâtre des femmes de l’Ancien Régime (anthologie en cours de réédition chez Garnier Classiques Poche)
Signer le Manifeste égalité femmes/hommes dans l’art et la culture
* Pour rappel, actuellement, malgré ce « lent mais sûr envahissement des théâtres » en marche depuis 1939, seulement 15% des textes joués sont écrits par des femmes… !