De juillet à septembre 1924, la revue Le Cri de Paris lance une enquête « Pourquoi y a-t-il si peu de femmes auteurs dramatiques », à la demande de la journaliste Odette Pannetier (seule femme membre du premier jury du prix Renaudot en 1926). Un florilège de réponses proposées par le Tout-Paris théâtral de l’époque est alors publié, pour le pire et le meilleur…
Focus sur la réaction de Jane Misme, directrice du journal féministe La Française, dans L’Oeuvre, 10 juillet 1924
« Les Illogiques »
Pourquoi y a-t-il si peu de femmes auteurs dramatiques ? A cette question posée par une publication hebdomadaire, quelques signataires célèbres ont déjà répondu. Quoi ? Que le Ciel a privé les femmes des dons nécessaires ? Ils l’ont dit et ils ne l’ont pas dit.
Tant de faits ont déjà démenti la classique certitude de « l’imbécillité de sexe » que, désormais, la prudence dans le diagnostic des incapacités féminines s’impose. On se borne à se demander si dame Nature n’a pas peut-être, tout de même, joué à ses filles le mauvais tour de leur refuser l’esprit objectif et constructif, indispensable à l’art dramatique. Nous sommes touchées de cette modestie, de la déférence du ton, naguère inconnue en ces sujets. Et nous remercions M. Henri Duvernois qui, bravement, fait confiance pour l’avenir au talent féminin.
Un seul enquêté se signale par la crudité de son verdict : je m’étonne que ce soit lui, car j’ai connu M. Paul Ginisty plus bienveillant envers les aptitudes féminines et je lui en garde une fidèle gratitude. Les femmes ne peuvent être auteurs dramatiques, affirme-t-il, parce qu’elles manquent de logique et de bon sens. Oh ! Dit-on ces choses-là en face !
Expliquons comment tant d’hommes bien élevés, qui, pour rien au monde, ne se permettraient de déclarer à un monsieur qu’il a le raisonnement ou même le nez de travers, commettent sans scrupule cette effarante impolitesse de traiter d’absurdes l’universalité des femmes. C’est cela qui est illogique. Expliquons pourquoi, entre les droits de l’homme, s’est toujours trouvé celui de dire des grossièretés (imbecillitas sexus !) à l’esprit féminin. Non, n’expliquons rien, ce serait trop long. Félicitons-nous comme d’une grande victoire que tant d’hommes commencent à abdiquer ce droit.
Quant à discuter si, par essence, le côté de la barbe monopolise la logique et le bon sens… Ceux qui le pensent n’ont-ils jamais remarqué, dans la vie publique ou privée, des hommes déraisonnables. Et sont-ils sûrs que, parmi les femmes qu’ils ont observées, beaucoup n’ont pas feint, exprès pour leur plaire, de n’être que de petites folles ?