Aller au contenu

Revue du Théâtre des Ilets – CDN de Montluçon n°3

Revue n°3, du Théâtre des Ilets – Centre dramatique national de Montluçon, dir. Carole Thibaut

Janvier-Juin 2018

Meneuse de revue (Conseil éditorial) : Aurore Evain

Aurore Evain a contribué à enrichir cette revue nº3 par la constitution de feuillets thématiques, imaginés en écho avec les œuvres présentées aux Îlets ce semestre.

Présentation de la Revue n°3 sous forme d’édito

« L’exercice éditorial nécessite de s’adonner au jeu du copier-coller. Il s’est transformé ici en une tentative de dévoiler-assembler*. Trouver « les bonnes images » — des images « singulières », «affirmatives » comme les définit Geneviève Fraisse — pour dévoiler les œuvres présentées sans les figer. Assembler les textes de manière à ce qu’ils permettent une libre circulation de la pensée, entre ici et là-bas, hier et maintenant : de la Place Tahrir à la Commune de Paris, des suffragettes de 1900 aux féministes des Seventies, de mai 68 à mai 2018.
Dévoiler…
Ce sera d’abord dévoiler les stéréotypes qui enferment femmes et hommes dans des identités de genre, qui les immobilisent dans des rôles et des conduites, véritables carcans idéologiques et nouvelles polices de la pensée. Car, sous les stéréotypes, la liberté… Carole Thibaut, avec Fantaisies, ramasse les clichés féminins et nous les balance à la face, dans une performance libératrice : c’est aussi la revanche d’une actrice, qui règle nos comptes avec un répertoire de princesses jeunes, sages et jolies, de mères martyres, de blondes idiotes, de femmes idéales embaumées, de «gardiennes du phallus » pour paraphraser Hélène Cixous. En 1977, celle-ci refusait d’aller au théâtre pour ne pas «assister à son enterrement » : qu’en est-il aujourd’hui ?
Au fil des pages, nous dévoilerons aussi les histoires effacées de nos aïeules, ensevelies sous les linceuls de l’Histoire : disparues les paroles politiques des poétesses de la Beat Generation 1, disparues les militantes féministes de la fin du 19e. Disparues aussi les petites filles rusées, qui ont soif d’apprendre, et les grand-mères initiatrices des contes d’antan, remplacées depuis trois siècles par des loups tout puissants et de petites sottes inconscientes. Dévoiler, c’est donc aussi désobéir, ne pas suivre les sentiers battus et rebattus de la Culture officielle, mais révéler les paroles enfouies au fond de nos mémoires et de nos territoires. En fouillant bien, on y trouvera une Petite Fille qui disait non, des Bouillonnantes, des Filles de l’industrie toujours debout, des «mémés rouges » enragées, et au bout du chemin, le Paradis perdu
Dévoiler aussi ce qui se cache sous ce voile qu’on ne saurait voir, sous ces nouvelles injonctions à se dévoiler. Et qu’en est-il de nos voiles invisibles, à nous autres, occidentales dévoilées ? Aujourd’hui, comme dans la France révolutionnaire de 1789, voilées et dévoilées font face à la doxa républicaine. Amélie Poirier nous invite à lever les voiles, à écouter le bruissement de leur soulèvement.
Dévoiler une bonne fois pour toutes que les bébés ne naissent ni dans les choux ni dans les roses. Mais entre les cuisses des femmes. Hier à la maison. Aujourd’hui dans des maternités. Dévoiler aussi le politique sous le privé : affaires de femmes, mais de plus en plus affaires d’hommes, ensemble dans une nouvelle parentalité qui s’invente, se légifère, et qui doit déconstruire, bouleverser des systèmes de pensée enracinés dans nos cerveaux depuis des millénaires.
Dévoiler enfin ce que dénonçait déjà Pasolini en 1977, le «centralisme fasciste» et les impostures de nos démocraties. Pour échapper à l’uniformisation de la pensée et au formatage culturel imposés par la société de consommation, il faudrait constamment changer de place, circuler, gesticuler afin de ne pas rester paralysé.e sous l’effet de la bien-pensance. Franck Lepage nous enjoint à participer à des cures de désintoxication culturelle, à assembler nos savoirs les plus intimes pour nous affranchir des mécanismes de la domination et ainsi « fabriquer du temps de cerveau disponible pour la révolution». Car «nous sommes tous.te.s des prisonnier.ère.s politiques »…
Mais suffit-il de nous assembler pour révolutionner ? C’est par le rassemblement des corps et l’occupation radicale de l’espace public, dans une solidarité pleine et entière, que se
sont exprimés, ces dernières années, les grands mouvements de contestation populaire. Des corps assemblés qui constituent, selon Judith Butler, une force politique en eux-mêmes, par la puissance performative de leur rassemblement, de leur «alliance» autour d’une précarité partagée, transversale, singulière et plurielle.
Dévoiler, donc, pour mieux Assembler… Assembler sans figer ni uniformiser. Cette revue n°3 est un assemblage de regards pour tenter de raconter au mieux la face cachée du monde, secouer nos représentations, participer ensemble à l’invention d’un monde meilleur.
Pour faire qu’en 2018, l’imagination soit enfin au pouvoir, soyons réalistes, demandons encore et toujours l’impossible… »

Aurore Evain

* Assembler, c’est aussi inclure. Dans cette revue, nous pratiquons l’écriture inclusive. L’Académie française a récemment déclaré qu’elle nuisait gravement à votre
culture. Vous l’aurez compris : elle vous est donc vivement recommandée par les forces révolutionnaires de libération de la langue française…

1 Lors de l’exposition Beat Generation en 2016, quasiment aucune autrice n’eut droit aux honneurs du Centre Pompidou, comme le souligna la metteuse en scène Mirabelle Wassef, qui travaille à les remettre en lumière en collaboration avec la traductrice Jacqueline Starer.

Lire la Revue n°3 du Théâtre des Îlets – CDN de Montluçon et découvrir les créations de sa saison 2018

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *